SEANCE 6-7

Nouvelles de Pétersbourg

Nicolas Gogol


I./ Une question de synthèse : La cohérence du recueil.

II./Autres  questions  : quelques pistes d'étude auxquelles l'étude peut mener.

     


I. / Quelles réponses les récits de Gogol donnent-ils à la dislocation des personnages ?

Les Nouvelles de Pétersbourg rompt avec la vision traditionnellement héroïque du personnage littéraire. Tous les personnages sont disloqués, abattus par une calamité, meurent ou traversent une épreuve qui les disloquent physiquement ou moralement. Cette représentation correspond-elle à une vision de l'homme ? On étudiera l'expression narrative de cette dislocation pour en déterminer les fonctions et les réponses que les textes proposent afin d'y mettre fin.

Une vision sociale de l'homme

La dislocation du personnage gogolien exprime tout d'abord son incapacité à appréhender une réalité qui le dépasse ou lui échappe. Le personnage est un obsédé : son nez, son manteau, une fille aperçue dans la rue… sa vie intérieure est entièrement soumise à ce principe, réduite à ce qu'il vit, voit, veut dans la réalité. Akaki Akakiévitch est un être médiocre qui porte sur lui un manteau rapiécé, de même le peintre Piskariov dont le vêtement est taché. Leur quête régie par les convenances, les principes, les valeurs de la réalité sociale est vouée à l'échec. Ces personnages semblent alors poursuivis par une malédiction ou une médiocrité qui les classe dans un statut social dévalorisant et les met en marge de la société pétersbourgeoise. D'autant que la dislocation ne touche pas seulement les vêtements, elle est aussi physique et morale : Kovalev perd son nez et son assurance, Pirogov sa fierté, Proprichtchine sa raison, Tchartkov l'authenticité de son génie. La peinture de la dislocation du personnage sert donc à faire le procès d'individus qui trahissent leurs idéaux, jouent un jeu social ou la duplicité est de rigueur. Pourtant, elle touche également des êtres faibles comme Akaki, sans ambition, ou idéaliste comme Piskariov. En ce cas, leur dislocation traduit une forme de malédiction qui s'abat sur ces pauvres âmes en peine de tranquillité, de bonheur médiocre car immédiat. Comment l'expliquer si ce n'est du fait de leur médiocrité ou de leur incapacité à saisir une réalité qui les broie aveuglément. Car l'origine des mésaventures paraît bien être la réalité russe qui, monstrueuse et démoniaque, demande à ce que chacun intègre son mouvement et ses valeurs. De fait, les récits de Gogol expriment une satire de la société dont les fausses valeurs disloquent ceux qui n'ont pas les ressources, notamment économiques, pour s'y intégrer.

Une vision métaphysique de l'homme

La dislocation du personnage gogolien exprime également son incapacité à se détacher du réel. En effet, La dislocation ne touche pas uniquement dans nos récits les petites gens de Pétersbourg. Elle marque la totalité de cette société dont les valeurs sont fondées sur l'argent, le statut social, et toute forme de pouvoir de représentation. Et voilà bien l'enjeu de nos textes : A le pouvoir celui qui détient une forte capacité d'être représenté, c'est-à-dire de s'absenter, d'échapper à la réalité. Il n'y pas meilleur exemple que ces hauts fonctionnaires qui brillent par leur absence, par leur manquement à la réalité ou encore le fou du Journal ; ils n'en existent que davantage. C'est aussi le pouvoir des individus portraiturés dans le Portrait. C'est aussi pourquoi l'usurier du même récit demande au peintre de réaliser son portrait. Une fois peint, cet être démoniaque dit avoir le pouvoir de devenir immortel, d'être présent à jamais par delà sa mort. L'enjeu est mimésique. La mimésis définie comme une représentation de ce qui est absent, absent au monde, absent à l'œil, est un pouvoir. Le fou du Journal ne détient ce pouvoir que lorsqu'il devient, croit-il, roi d'Espagne. Mais en définitive, ce pouvoir est dangereux car il se retourne contre celui qui le détient. Le personnage important du Manteau en fait l'expérience, son vêtement est volé et sa fille ne le reconnaît pas, Pirogov également qui se croit à l'abri des charges des artisans sous prétexte qu'il est lieutenant. Le salut est dans le détachement, celui de proprichtchine, détachement critique représentatif de celui du narrateur. Mais le risque, c'est l'aliénation. Alors que faire ?

Une vision évangélique de l'homme

A la dislocation des personnages correspond une dislocation du récit. Le récit louvoie entre vraisemblance et invraisemblance, farce et ironie. La suspension du sens dans les textes constitue à la fois un jeu qui fondent le genre fantastique mais aussi une forme de louvoiement qui exprime une quête d'un sens maîtrisé. Comme tous nos personnages toujours en quête d'une réparation, voire d'une réapparition (et le lecteur d'une signification) le narrateur multiplie les interventions qui tentent ou feignent de répondre à l'absurdité des situations et par conséquent à l'insatisfaction ou la surprise du lecteur. La dislocation constitue donc une processus herméneutique : la compréhension du réel et sa saisie clairvoyante ne sont possible que par la dislocation et la perte des repères sociaux : en définitive, Proprichtchine n'accède à cette clairvoyance qu'une fois endossé le rôle conservé secret de roi d'Espagne. Voilà sans doute la réponse possible à cette impossible saisie du monde : elle ne peut se réaliser que dans le mystère, la douleur, la confusion, la marginalité et la distance. Toute autre tentative semble vouée à l'échec, seul le retrait permet la bonne compréhension, la vérité est dans un prisme éloigné qui reflète une réalité éclatée. Cependant, ce type de réponse transgresse la norme sociale, et surtout les valeurs morales de la société. Voilà pourquoi une autre réponse est proposée. Plutôt qu'un repli sur soi comme l'illustre le personnage du Journal d'un fou, le texte en dernier lieu propose un repli sur Dieu. C'est l'essence de la pratique mimésique d'aller vers elle-même, c'est-à-dire vers sa disparition au profit de son origine divine.

Plus qu'un jeu raffiné de distorsion du temps du récit, des personnages, des composantes référentielles, pratiques esthétiques et normes sociales, la pratique mimésique ne consiste plus à faire croire mais à croire. C'est la pratique du peintre du dernier récit qui grâce à ceci abolit le temps, annihile les passions vaines, permet de recouvrer une cohérence perdue dans la réalité chaotique telle qu'elle apparaît dans Pétersbourg. Processus clinique mais solitaire et vain car sans interlocuteur dans le Journal, la dislocation de l'individu et la profusion confuse de son discours trouvent dans Le Portrait une réponse : non pas liquidation et exacerbation narcissiques de l'individualité (Propichtchine) mais résolution de la quête obsédante du bien dans la contrition. Plutôt qu'une soumission à la réalité, le peintre ici se soumet à la volonté de dieu qui demande à l'individu de devenir une créature au service de son créateur.


II./ Autres questions : Pistes d'étude

Quelles représentations de l'espace les récits de Gogol donnent-ils ?

Représentation réaliste / fantastique

Espace de perdition / Espace de transgression / Espace et échappatoire

Quelles sont les significations de la ville de Pétersbourg ?

La ville moderne : métamorphoses et maléfismes

Quel rôle joue le diable dans les Nouvelles ?

Le diable tentateur / figure révélatrice de la société russe

Les formes de satanisme

Comment expliquez-vous la disparition du nez ?

Le nez : symbolismes du nez

Disparition et épreuve

Ecriture et épreuve : expérience et démarche spirituelle

En quoi peut-on dire que les récits sont réalistes ?

Le réalisme brouillé des récits

Le fantastique = une réalité insaisissable

Modalité de l'écriture réaliste // Visée

Quels rôles joue le narrateur des récits ?

Le narrateur naïf // avisé

L'incompétence dilatoire du narrateur

Voix narrative et esquive ironique

Narrateur et Narrateur-personnage dans Le Journal + Le Portrait

Quelle est l'image de la société russe dans les récits ?

La satire

Les petites gens // Les détenteurs du pouvoir

Quelle est l'importance de la Perpective nevski ?

Espace fédérateur et métonymique

problématique de l'être / du paraître

A quoi sert le comique ?

Les formes de comique

Comique et satire

Comique et ironie

Comique et détournement esthétique et social

Quelles significations donnez-vous aux titres ?

Trivialité / réification par les titres

trivialité / anormalité

Récit / discours du Journal d'un fou

En quoi le personnage des Nouvelles est-il obsédé ?

Obsession / quête / résultats

Obsession et confusion / prolifération et dislocation

La question de l'unité perdue

La réponse religieuse du Portrait


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