SEANCE 4


Portrait fragmenté 4

Nouvelles de Pétersbourg

Nicolas Gogol


Objectifs :

Identifier les solutions proposées à la tragédie du personnage

Déterminer les différentes conceptions de la pratique mimésique


I./ LA PRATIQUE MIMESIQUE DANS LE JOURNAL D'UN FOU

II./ LES CONCEPTIONS DE L'ART DANS LE PORTRAIT

III./ LECTURE COMPAREE DES DEUX VERSIONS ET BILAN


La Mimésis et les pratiques de la représentation du réel

On partira de la notion de Mimésis comme pratiques scripturaire (relative à l'écriture), picturale du réel. On pourra donc fonder l'analyse du texte non seulement à partir du Portrait qui présente très clairement des conceptions de la représentation picturale très bien étudiée dans les dossiers accompagnant telle ou telle édition, mais également du Journal qui, pour la première fois dans les récits, est un travail d'exploration du moi par l'écriture d'un journal tenu par un personnage. Pas de dédoublement de l'énonciation, donc, mais un dédoublement psychologique qui peut en être la représentation. On devrait, mais les élèves sont capables de le faire eux-mêmes, trouver dans les autres textes, notamment à propos de l'activité artistique de Piskariov dans La perspective, des exemples de représentations des pratiques mimétiques.

Au fil des analyses, on pourra d'ailleurs faire référence à d'autres textes sans que ces renvois débouchent sur une analyse exhaustive : les élèves sont capables d'effectuer ce type de synthèse.

Les représentations des pratiques mimétiques :
rappel de la séance précédente.

Dans Le Manteau et Le nez, ces pratiques sont déjà présentes mais surtout par leur absence montrée ou leur conséquences aliénantes : D'abord, à travers le choix du nom dans le premier récit, néfaste pour le personnage : il s'effectue à l'aide d'un calendrier. Ensuite, l'activité de copiste d'Akaki. Bien qu'elle lui procure souvent un plaisir sinon hédoniste du moins solitaire, elle n'empêche pas l'aliénation du personnage, en est même une explication possible.

Dans l'autre récit, une pratique d'écriture constituerait une solution pour Kovalev. Elle lui est suggérée par l'employé aux annonces, mais le personnage n'a pas le talent nécessaire pour transformer son épreuve aliénante en triomphe mimésique (d'ailleurs essentiellement proposée par l'employé pour le gain, notamment financier qu'une telle production entraînerait).

Paradoxe énonciatif qui transforme l'épreuve aliénante en réussite que le narrateur seul réalise… et les personnages dans les deux récits suivants :

I./ La pratique mimésique dans Le Journal d'un fou

Un genre noble

Elle est réservée aux nobles comme Proprichtchine mais conduit à la folie faute d'argent, d'un statut social élevé.

Elle permet la clairvoyance : la découverte des lettres des chiens fait découvrir la part cachée des êtres au risque d'en être affecté, et de tomber dans le délire et la folie.

La Chiennerie

Cette pratique, celle du journal qui transgresse les codes de la représentation mimésique du réel (dates, illogisme, perturbation de la cohésion narrative, insertion des lettres des chiens… le Journal était d'ailleurs intitulé par Gogol, Lambeaux du journal d'un fou) s'oppose à une pratique jugée avilissante par le personnage :

la copie : Proprichtchine refuse de se rendre à son travail de copiste au ministère pour ne pas avoir à recopier de "sales papiers".

La lettre : elle est jugée dégradante, juste digne d'un apothicaire, les lettres des chiens sont jugées incohérentes ou d'un style inégal : elles sont de la "chiennerie".

Quels sont les risques pour le personnage-narrateur et les enjeux d'une pratique créatrice transgressive ?

Evidemment la folie : Dédoublement de la personnalité. Mythomanie. Paranoïa au sens strict de délire interprétatif sans perte de clairvoyance de la part de Proprichtchine.

Mais la folie du personnage entraîne aussi la révélation dans le journal sur la société bureaucratique russe : l'aliénation est la condition qui permet la dénonciation satirique de cette société.

l'ambition est dénoncée, la cupidité, le satanisme de la femme, des barbiers, la brutalité d'un système très répressif, notamment dans les soins apportés au malade mental.

La pratique scripturaire constitue un enjeu idéologique qu'il s'agira d'expliquer par des informations précisées dans la séance 5.

II./ Classement possible des représentations de l'art dans Le Portrait

La représentation iconique du réel : l'art civil

Cette pratique constitue un mode de représentation dénigré par le peintre en début de récit. Esthétique figurative jugée humiliante en raison de la servilité au réel représenté qui tue l'invention, la subjectivité et se plie à la mode du jour. Le destin de l'artiste dans le premier récit du Portrait constitue un exemple édifiant de cet avilissement du peintre au goût qui le soumet à la volonté du modèle représenté par la mère de la jeune fille portraiturée. Œuvre de commande et d'imitation au sens de copie (Akaki), la représentation se plie au goût exprimée par le propriétaire du logis de l'artiste par exemple, qui définie la figuration comme une pratique noble sans tache, et reflet de l'attente du spectateur. Une méthode mécanique et répétitive constitue le principal processus créatif d'une telle activité.

La représentation indicielle du réel : l'art servile, l'art du créateur

Par opposition à cette pratique civile qui imite le réel, une pratique indicielle fondée sur la liberté créative de l'artiste apparaît dans le texte, notamment dans le portrait trouvé par l'artiste dans la boutique. Cette pratique jugée plus authentique par le créateur, notamment le professeur, permet d'exprimer le réel avec une plus grande acuité. Le processus créatif est assimilé à une démarche spirituelle plus que technique. Cependant, cette conception conduit à la malédiction, l'aliénation. Comment l'expliquer ?
Evidemment, le deuxième récit donne une clé d'interprétation. Il reste que le portrait n'est plus la copie de la réalité, il en est l'exact reflet : en définitive, révéler le réel ou le copier conduit à la même impasse car la pratique est un sacrilège !
En effet, la copie est le reflet prosaïque du réel, et la révélation créatrice du réel est jugée transgressive : le portrait est une forme hybride, nature morte et nature vivante réunies dans un seul et même tableau. Le portrait n'est pas harmonieux bien qu'il soit la représentation exacte du modèle , mais de fait, trop exacte : "On aurait dit des yeux vivants qu'ils avaient prélevés sur un homme vivant et placés là". La pratique artistique est comparée à un travail d'anatomiste, de chirurgien : "tu t'armes du scalpel de l'anatomiste, tu mets à jour l'intérieur de son corps…"

Une telle pratique conduit donc à la perversion et l'aliénation : Le deuxième récit explique les raisons de la malédiction du portrait : figures satanique, l'usurier représente l'autre, l'oriental, au visage basané, à la taille gigantesque, et les peurs qu'il entraîne. Le mythe de Faust apparaît bien l'élément perturbateur du destin de l'artiste.

La représentation icônique du réel : l'art mystique

Le deuxième récit expose les mêmes conceptions de l'art. Distinction est faite entre la "Peinture historique" et le "tableau de genre". Après l'histoire de Tchartkov, le nouveau récit réitère dans un premier temps la malédiction qui suit la tentation du réel. Le père du peintre tente de représenter avec fidélité le visage de l'usurier, et surtout de traduire avec authenticité l'âme du prêteur. Mais l'orientation religieuse du texte conduit l'artiste à regretter amèrement le talent mis à reproduire le visage du démon. L'Esprit de Ténèbres s'est emparé du tableau pour devenir un objet de malédiction. Comment expliquer ceci alors que le peintre est un fervent croyant ? La force démoniaque du tableau ne suffit pas à l'expliquer.

Ici, la comparaison entre les deux versions du portrait peut permettre de trouver une explication plus pertinente.

III./ Lecture Comparée de deux passages :
la rencontre du peintre et de l'usurier (2ème partie de la nouvelle)

Les différences :

1ère version : l'usurier est un homme pécheur que le peintre rencontre par hasard et non intentionnellement. Le ton est beaucoup plus dramatique, plus de détails, l'agonie de l'usurier est traitée avec beaucoup plus d'effet dramatique et d'émotion. L'aspect romanesque est conservé.

Si l'usurier demande au peintre le portrait, c'est pour expier ses fautes, sa cupidité, en demander pardon à Dieu. C'est un pécheur.

Enfin, si le peintre malgré son dégoût, accepte l'offre, c'est par désir, par convoitise, par aubaine , c'est une épreuve artistique : il tient là un magnifique sujet qui va lui permettre de représenter une allégorie, le visage du pécheur.

2ème version : Pas de hasard dans un premier temps, mais un projet de la part du peintre.

L'usurier désire être portraiturer non pour se soulager de ses vices, mais afin d'obtenir une forme d'immortalité : le portrait permettra, dit-il, d'assurer sa descendance : "je veux vivre" dit l'usurier au peintre. Ici, la pratique est considérée comme une transgression de la loi naturelle et divine : l'usurier n'est pas un pécheur mais le démon en personne qui entraîne dans sa chute le peintre et tout détenteur du tableau. La malédiction est d'ailleurs ici exprimée comme une punition de Dieu.

Le salut du peintre croyant après une période de retraite sera obtenu grâce à La Nativité de Jésus, icône offerte à la bénédiction du ciel.

BILAN

Le récit est donc très didactique et , dans la deuxième version, on constate une disparition du narratif au profit du didactique: la pratique artistique triomphante est, doit être avant tout édifiante. Elle doit être le fruit d'une totale abnégation et non le résultat d'un désir, voire d'une concurrence avec le pouvoir créateur divin. La narration prend effectivement des allures de prédication que la séance suivante tentera d'expliquer : le fantastique est mis au service d'une thèse plus explicite : la pratique artistique permet de recouvrer une harmonie perdue. Elle sauve l'homme jusque là séparé du monde et des siens, argument thématisé par les retrouvailles avec le fils, et le réconcilie avec lui-même grâce à la foi.


Préparation de la séance 5

*Recherche sur Gogol et la Russie au 19ème siècle : En quoi les informations trouvées confirment-elles cette conception de l'art et la pratique du récit ?

* Quelle est l'unité du recueil ?

Vers la séance 5


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