SEANCE 3


Portrait fragmenté 3

Nouvelles de Pétersbourg

Nicolas Gogol


Objectifs :

Identifier les formes du rire dans Le Manteau et Le Nez

Interroger les fonctions du comique


I./ RELEVE DES PASSAGES COMIQUES DANS LES DEUX RECITS.

II./ CLASSEMENT : LES CATEGORIES DU COMIQUES ET LEURS FONCTIONS

III./ LECTURES METHODIQUES DE DEUX EXTRAITS : LE MANTEAU + LE NEZ :
                LE MOTIF DE L'ECRITURE DANS LES DEUX RECITS


I./ Relevé de passages pris dans le découpage suivant

Le Manteau

1. La naissance d'Akaki Akakiévitch

2. Les descriptions morale puis physique d'Akaki Akakiévitch, fonctionnaire zélé

3. Première rencontre avec le tailleur Pétrovitch

1. Deuxième rencontre avec le tailleur

4. La fête avec les fonctionnaires en l'honneur d'Akaki Akakiévitch

2. Le vol du manteau

3. Chez le personnage important

5. Le délire puis la mort d'Akaki Akakiévitch

6. La tentative d'arrestation du cadavre d'Akaki Akakiévitch

4. Le fonctionnaire volé (fin)

Le Nez

1. La découverte du nez par le barbier qui s'en débarrasse

2. Présentation de Kovalev

3. Découverte du nez sous les traits d'un conseiller d'état

4. Kovalev au bureau des petites annonces

5. Kovalev chez le commissaire de police

6. Kovalev chez lui : arrivée de l'inspecteur de police

7. Kovalev appelle le médecin

8. Lettre à Aleksandra Grigorievna + réponse

9. La rumeur sur La Perspective

10. Retour du nez, parade du major + épilogue


II./ Classement

On demande un classement raisonné de passages fondé sur le questionnaire suivant présenté sous cette forme ou de manière tabulaire :

*Pourquoi rit-on dans le passage ?

*De qui ? quoi ?

*Contre qui ? ou quoi ? *ou avec qui rit-on ?


Le fantastique :

Deux définitions du fantastique :

Fantastique narratif : l'hésitation maintenue sur la vraisemblance du passage. Le narrateur cautionne in fine le recours au fantastique: indécision exprimée par un narrateur qui se décharge de toute explication rationnelle. Contrairement au merveilleux parodié identifié dans La Perspective, le Manteau et Le Nez font évidemment apparaître cette catégorie esthétique.

On rit avec le narrateur de l'absurdité, de la cocasserie des situations, des personnages : Ironie.

Dans l'épilogue, le ton héroï-comique du narrateur maintient le fantastique et amplifie à outrance "l'aventure qui arriva dans la capitale septentrionale de notre vaste pays !"

La rumeur qui ameute les pertersbourgeois sur la Perspective est l'image de cette hésitation maintenue jusqu'au bout du récit. Question de mode et sujet à plaisanteries : le surnaturel n'est permet pas ici un élément d'explication et d'exploration mais un faux-semblant qui dénonce le ridicule des promeneurs curieux. La fonction est satirique

Car la fonction de l'intrusion du surnaturel dans le conte fantastique classique, c'est bien de proposer un élément explicatif qu'une saisie réaliste et sa pratique artistique figurative ne peuvent trouver.

Cependant ici, le recours au fantastique ne débouche pas sur conclusion. La fonction heuristique classique du fantastique est perturbée.

Le fantastique sémantique : "Tu tritures les nez à les décoller" dit la femme au barbier du Nez..

Les occurrences du mot "nez" sont d'ailleurs très nombreuses dans tous les récits ! On prise (le fonctionnaire du bureau des petites annonces dans le Nez, les nez gèlent, on veut se le couper (Perspective)...

La fonction de ce fantastique ludique est évidemment de parodier la fonction habituellement heuristique du fantastique. L'invraisemblance mène à l'absurde qui propose une perception d'une réalité fragmentée, dont la saisie cohérente est impossible : l'invraisemblance est d'ailleurs toujours soulignée par le narrateur, celle du monde, celle des aventures, et thématisée dans l'écriture, dans les personnages comme Akaki, dont le manteau rapiécé, décousu, part en lambeaux.

Encore une fois ici, on peut s'arrêter sur les éléments qui fondent l'analyse de la discontinuité dans les textes : L'escalier qui mène chez le tailleur Pétrovitch est recouvert de détritus et d'eaux sales.

Le tailleur est d'ailleurs une figure diabolique dont la trivialité et l'animalité choquent le fonctionnaire : il a un pouce gros et robuste "comme de l'écaille de tortue". Il est borgne. C'est un "diable de borgne"! il passe les dents sur les coutures du manteau pour le consolider. Figure d'ogre des contes de fées, le tailleur a, comme le personnage important, une voix tonitruante et cassante. Comme lui, il aime en jouer tel un comédien pour faire respecter sa parole.

On retrouve encore référence dans le texte au 12 coups de minuit après quoi Akaki va sortir et se faire voler son manteau !

Dans le Nez, les personnages que va rencontrer Kovalev ne sont jamais surpris par la disparition du Nez. L'univers proche de La Métamorphose de Kafka, est aussi une vision très comique de la réalité. Seul le personnage principal s'inquiète de cette disparition, encore qu'il en est surtout gêné par le désagrément que la disparition lui cause dans la société. Elle va le faire paraître bien sot.

C'est toute une satire de la société russe que génère l'intrusion du fantastique comique chez Gogol. Société du paraître, mais surtout, du paraître important.

En effet, la satire du fonctionnaire et de son obsession du grade apparaît bel et bien l'objet de cette forme de fantastique comique. C'est le sujet du Nez qui montre un personnage soucieux de son statut d'assesseur de collège, outré de voir son nez doté d'un grade plus élevé que le sien.

Le fantastique accuse le complexe du petit fonctionnaire, permet de manière détournée car comique de peindre les vices et ridicules de la classe sociale et du système qui régit l'accès au grade supérieur.

Le comique burlesque : forme de comique lié à la fête carnavalesque médiévale et renaissante : C'est une réécriture comique d'un genre noble : on peut citer l'exemple, parmi d'autres, du pastiche héroï-comique de la course poursuite du nez dans la cathédrale. Ou encore, le comique de répétition caractéristique de la représentation du burlesque dans le passage ou Kovalev tente à plusieurs reprises de remettre son nez en place.

On rit du personnage.

Autre exemple, cette fois dans le Manteau : la naissance traitée sous le mode de la dérision d'Akaki ! On voit ici que le burlesque porte sur des schémas classiques de récit stéréotypés. La rupture avec un schéma, ici, picaresque, porte à rire : hésitations sur le nom, ratage de l'attribution du nom, pleurs de l'enfant, puis existence triviale, sans épreuve et sans risque. Akaki est l'enfant mal né du conte merveilleux.

La trivialité encore une fois dénonce l'inanité du petit fonctionnaire scribouillard. Il la porte sur lui.

On rit avec le narrateur qui se fait fort de tourner en dérision les habitudes du célibataire qui fait tous les efforts financiers, se restreint jusqu'à ne plus manger à sa faim, pour s'offrir un manteau : "comme s'il était marié" !! Le manteau compense l'absence de sexualité du personnage, comme la disparition du nez pouvait constituer une épreuve, voire une punition à Kovalev qui rejette, par forfanterie et cupidité, la demande en mariage.

Le grotesque : Alliance du beau et du laid. Déformation constituée par le spectacle de cette alliance. La disparition du nez chez un personnage paradeur et fier de son pouvoir de séduction peut constituer un exemple de cette catégorie de comique. Kovalev se donne en spectacle, fréquente les théâtres, mais ne fait plus recette une fois son nez disparu. On rit contre le personnage.

De même, le personnage important du Manteau, habitué à jouer parfaitement son rôle, n'est plus tout à fait reconnu par sa fille, à la fin du récit. Il est pâle, il s'est fait voler son manteau, sa fille s'inquiète... Les personnages sont voués à rester ce qu'ils sont, cantonnés dans leur rôle, leur fonction, sitôt qu'ils se transforment, ils basculent dans l'étrangeté, et deviennent l'objet de regards intrigués d'incompréhension. On rit cette fois encore contre ce personnage : Le grotesque est moralisant : le récit termine par une forme de punition infligée à ce personnage qui n'a pas su écouter Akaki.

Le quiproquo : Exemple de la lettre envoyée par Kovalev à Aleksandra Grigorievna : Kovalev accuse et la réponse réinterprète de manière burlesque les termes de Kovalev, allant même jusqu'à proposer au lecteur une explication de la disparition du nez : Kovalev se serait fait fermer la porte au nez. Son refus du mariage n'était-il qu'un leurre ? peut-être, en définitive, il n'aurait pas accès au statut de fonctionnaire supérieur et en ce cas, la disparition nez serait le symbole d'un complexe.

La entre les différentes traductions du texte montre sur ce point une variante intéressante : On lit l'expression "fermer la porte au nez" en Poche, "conduire par le bout du nez" en GF, "faire un pied de nez" en Folio. On retrouve ici l'utilisation ludique de l'expression qui crée, d'un détail, l'expansion de récit. Complexe de castration ? En définitive, la disparition constitue une épreuve, épreuve d'écriture et de confusion sémantique.


BILAN :

Quelle est alors la fonction de ces passages comiques dans le texte ?

Dans le Manteau, il s'agit d'exprimer un point de vue satirique sur le système bureaucratique russe au 19ème . Le personnage important est puni de sa cruauté.

Dans le Nez, Le comique sert à dénoncer l'obsession du personnage, sa forfanterie, voire sa goujaterie .

(On verra dans la dernière séance essentiellement informative, que ces formes de comiques sont aussi un moyen, du côté de l'auteur cette fois, de contourner la censure : le narrateur naïf s'étonnant de cette recrudescence du surnaturel dans la ville exprimerait une forme d'esquive ironique de ce que les censeurs repérerait comme politiquement dangereux. A ce propos, on devra sans doute interroger plus spécialement le passage n° 3 où Kovalev découvre son nez dans la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan !)

*L'aliénation est-elle donc à ce point constitutive du personnage gogolien ?

*Comment l'expliquer ? Quelles issues les textes proposent-ils à cette aliénation ?


III./ Lecture méthodique

2 passages effectuées simultanément par 2 groupes.

Le Manteau, pages 211 à 214, de "Quand et à quel moment entra-t-il... jusqu'à que vous me donniez quelque chose à copier"

Le Nez, pages 111 à 116, de "Dans sa situation... jusqu'à ce serait pareil"

*Comment expliquer l'aliénation des personnages ?

*Quelles solutions les passages proposent-ils ?

3 pistes de lecture :

Les figures sataniques source de perturbation : la trivialité de l'employé aux petites annonces, les sarcasmes des fonctionnaires du ministère, une force surnaturelle, Akaki Akakiévitch : confirmation de ce qui a déjà été vu.

Les solutions proposées au comique et à l'aliénation : La communication, mais elle entraîne ou la violence des réactions chez Akaki ou l'incompréhension chez l'employé, ou elle est inexistante et conduit à l'impasse : confirmation de ce qui a déjà été vu.

La pratique artistique : Elle permettrait à Kovalev de vendre son histoire, dit l'employé aux petites annonces, page 131. Un écrivain de talent transformerait l'histoire en récit édifiant et rentable. Mais Kovalev n'est pas l'écrivain de talent que l'employé évoque. Le narrateur ? Gogol ?

En ce sens, Le Nez peut être considéré comme l'image d'un manque que le texte comble. Plus qu'une interprétation symbolique, psychanalytique qui verrait dans l'organe absent un substitut du phallus, un complexe de castration chez Kovalev, et pourquoi pas chez Gogol, le nez représenterait l'enjeu ludique du texte qui se dérobe de manière incohérente, revient alors qu'on ne l'attendait plus, une épreuve d'écriture que ne remplit pas l'écrivain-Kovalev évoqué par l'employé.

Dans le Manteau, Akaki effectue une travail de copiste qui le transforme : "Le plaisir s'exprimait sur son visage ; certaines lettres étaient ses favorites et lorsqu'il tombait sur elles, il n'était plus lui-même : il souriait, clignait des yeux, s'aidait de ses lèvres en sorte que..."

La pratique de l'écriture transfigure donc le personnage au point qu'il devient méconnaissable. L'aliénation constitutive de l'écriture chez le petit fonctionnaire est donc à la fois son plaisir, et étrangement, et de manière démoniaque, ce qui le transforme, par une force surnaturelle

Comment expliquer que le personnage d'Akaki pourtant souvent heureux de son activité de copiste, satisfait de son sort (le seul fonctionnaire dans les récits de Gogol qui le soit !) soit à ce point marqué par une forme de damnation ?


Préparation de la séance 4

*Quelles représentations de la pratique artistique les deux derniers textes proposent-ils ?

Vers la séance 4

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